La citoyenneté européenne et les conséquences dun éventuel Brexit
Regard dun Britannique conseiller municipal en France
Tim Richardson
Conseiller municipal d'Eymet (Dordogne)
Si vous le permettez, avant de vous parler du droit de vote, je souhaite, premièrement, dire quelques mots sur deux questions que jai dû me poser avant de préparer cette intervention, deuxièmement, vous décrire rapidement ma situation personnelle ici en France, puis vous parler de lintégration en général des Britanniques dans notre coin rural de la Dordogne. La première question que je me suis posée cétait : « Pourquoi est-ce que je me retrouve ici, parmi vous aujourdhui ? » La raison est assez simple. Notre petite ville dEymet en Périgord est assez souvent visitée et citée par les médias du monde entier. Des médias qui, de longue date, mais surtout depuis que le référendum pour le Brexit a été débattu et voté, ont choisi de prendre notre ville comme un exemple dune certaine mixité européenne. La deuxième question cétait : « Est-ce que ma présence pour vous parler sur ce sujet est légitime ? » Et là ce nest peut-être pas aussi simple. Je ne pense pas pouvoir parler au nom de mes collègues du conseil municipal dEymet, petite ville dynamique denviron 2 500 habitants. Si je me retrouve au conseil depuis les élections de 2014, cest suite à linvitation du maire sortant qui a voulu continuer à gérer la ville avec une liste apolitique. Une invitation faite sur la base de mon implication dans la vie associative locale, notamment au sein du bureau de notre Office de tourisme et à la présidence de notre comice agricole, plus que sur le « besoin » davoir un représentant britannique au conseil. Je ne pense pas pouvoir parler non plus au nom des autres résidents britanniques dEymet. A vrai dire, même si on peut estimer un nombre assez élevé, environ 250 Britanniques, qui résident dans notre ville, soit environ 10 % de la population, jen connais très peu personnellement. Et malheureusement assez peu ont voté aux dernières élections municipales. Dailleurs, si je peux trouver un point « positif » de laprès-Brexit cest le fait davoir enfin compris que, avec ma casquette de conseiller municipal, je dois aussi faire davantage pour aider à faciliter les liens entre les deux populations. Également je ne suis pas légitime pour en parler au nom des nombreux conseillers municipaux britanniques ailleurs en France je nen connais pas dautres et jignore sil y a une association ou un collectif qui les regroupe. Si je suis légitime pour me retrouver parmi vous aujourdhui cest peut-être simplement grâce à la chance que jai dêtre né dans une famille « internationale », et ce pendant une période de notre histoire qui permet et encourage des libres échanges. Grâce à mes parents voyageurs jai pu commencer ma vie en Italie, sur les rives du lac de Côme, et grâce à leur ouverture desprit notre famille a pu aussi souvrir sur dautres nationalités. Jai la chance davoir des beaux-frères américain et iranien, des neveux à Berlin et en Chine, une épouse française qui a aussi des origines vietnamiennes, des enfants français, et une belle petite-fille dun mois qui a également quelques racines roumaines. Mon installation en France au mois de mai 1991, à lâge de 25 ans, sest faite un peu par hasard, débutant par un stage de quatre semaines dans une ferme du Périgord, qui ma heureusement ouvert les portes sur le monde viticole que je cherchais à rejoindre. Si jai pu mintégrer assez facilement dans la vie locale, et si mon stage ne sest pas arrêté après quatre semaines, cest en partie grâce à lexemple de mes parents et à léducation quils mont donnée. Limmigration et lintégration sont toujours facilitées par des exemples de nos prédécesseurs, la peur de lintégration est souvent nourrie par linconnu. Je pense surtout que cest un exemple dune intégration « confortable ». Je ne prenais pas de grands risques en venant tenter ma chance dans cette région de France, une région qui est habituée à recevoir des expatriés, et je ne représentais pas non plus un grand risque pour mes hôtes. Le Pays dEymet a une histoire riche en tant que terre daccueil avec des migrations de peuples divers, qui cherchaient refuge ou lespoir dune vie meilleure suite à des guerres ou des famines, par exemple celles des Bretons, Alsaciens, Italiens, Espagnols. Entre 2011 et 2015 un grand travail associatif a été fait localement sous le nom de « Mémoires de Pays ». Par le biais de nombreux témoignages récoltés auprès de ceux qui ont vécu ces migrations souvraient en effet de riches perspectives par rapport à lhistoire, au tissu local, à lagriculture, à la culture populaire... des témoignages qui ont fait lobjet de publications. En 2016 les organisateurs de « Mémoires de Pays » se sont penchés sur larrivée des Britanniques en Pays dEymet, un thème très actuel mais qui na pas toujours été facile à cerner. Comment expliquer cette arrivée dans ce coin du Périgord, et peut-on véritablement comparer cette migration « confortable » avec limmigration dautres peuples, arrivés de plus loin et pour dautres raisons ? A la veille du 11 novembre nous ne pouvons pas ignorer notre riche histoire commune, faite de guerre, damitié et dentraide. Cette histoire commune, notre alliance pendant les deux guerres mondiales, et notre participation à la construction dune Europe unie, ont certainement beaucoup contribué à lacceptation de la présence dexpatriés Britanniques en France aujourdhui, mais ça nexplique pas vraiment la présence dune concentration aussi importante dexpatriés dans notre région. On cite souvent le soleil, la qualité de vie et la gastronomie, mais est-ce que ce sont de vrais facteurs de migration ? Daprès les chiffres de lINSEE en 2014, environ un quart des 150 000 Britanniques vivant en France habitent en Nouvelle Aquitaine. Ils vivent de préférence dans des zones rurales, où ils constituent souvent plus de 15 % de la population dans des communes marquées par des problématiques de désertification. Environ 50 % sont retraités, les actifs étant majoritairement entrepreneurs, soit dans le tourisme, soit dans les services et lartisanat. Ils sont généralement propriétaires, avec des moyens pour restaurer leurs maisons, pour consommer dans les commerces locaux, et pour faire venir famille et amis en vacances, profitant des lignes aériennes low-cost qui ont été créées entre Bergerac et le Royaume-Uni. Ils sont également assez actifs dans la vie associative et participent souvent aux actions caritatives. La présence des Britanniques est donc largement positive pour léconomie locale, et en général tout le monde y trouve son compte. Cependant on peut considérer quil y a quelques points négatifs résultant de cette présence, et le débat autour du Brexit et notre appartenance à lEurope les met en lumière. Ce sont des points « mineurs » vu le contexte favorable de notre intégration, mais qui servent peutêtre à démontrer quon doit toujours faire attention en usant de nos droits. Premier exemple, la langue. Il est vrai quil nest jamais facile dapprendre une deuxième langue tard dans la vie, mais il suffit dun petit effort dans la communication de tous les jours pour quun nouvel arrivant se fasse accepter par son voisinage, et nous devons bien sûr assister et encourager ces efforts afin de faciliter lintégration. Par contre, avec une communauté britannique assez nombreuse, et avec des services et événements souvent adaptés à la culture britannique, il est assez facile de vivre en faisant abstraction de la langue française. Ainsi il est de plus en plus commun de voir des informations commerciales et des communications culturelles uniquement en anglais. Limportation directe de produits depuis notre pays dorigine, surtout des produits frais, en est un deuxième exemple. Collectivement nous commençons enfin à comprendre que, dans une économie de plus en plus mondialisée, nous devons privilégier au maximum la consommation de produits locaux. Non seulement pour soutenir lagriculture et léconomie de nos lieux de résidence, mais aussi pour réduire limpact écologique de notre consommation. Après avoir parlé avec plusieurs de mes voisins britanniques afin de préparer ma venue ici, je pense pouvoir dire que, pour une certaine catégorie dexpatriés, leur réflexion sur laprès-Brexit ne concerne pas uniquement leur inquiétude pour leur situation personnelle, elle leur fait aussi parfois envisager la nécessité de redoubler defforts dintégration, à la fois par la langue mais également par limmersion dans la culture locale. Ils deviennent davantage attachés à leur commune et la région, presque « chauvins », allant jusquà éviter certains lieux et manifestations afin de se sentir « vivre en France ». Quant au droit de vote et à son utilisation, le débat autour du Brexit semble renforcer la perception de limportance de ce droit, droit que nous risquons maintenant de perdre. Malheureusement il ny a quune minorité dexpatriés qui a utilisé ce droit de vote jusquà aujourdhui. En consultant les registres pour notre ville jai relevé que seulement quarante-trois Britanniques sont actuellement inscrits pour voter aux élections municipales, soit environ 17 % de la population estimée, ce chiffre tombant à 13 % en ce qui concerne les élections européennes. Il semblerait quun plus grand nombre reste inscrit sur les listes électorales au Royaume-Uni, en fonction de leur patrimoine et du temps passé en dehors du pays. Par contre quasiment 100 % des personnes que jai interrogées mont parlé de leur volonté de sinscrire en France pour les prochaines élections, si jamais la situation après le Brexit le permet. En conclusion je me demande si, pour une partie de notre génération, lidéal européen dans lequel nous vivons, avec tout les droits quil nous accorde, ne nous offrirait pas presque trop de facilités sans que nous ne nous en rendions compte. Tout ce qui tourne autour du Brexit aura au moins leffet, je lespère, de clarifier notre attachement (ou pas) à cette union. Pour que cet attachement soit plus tangible, deux choses me semblent importantes. Premièrement jaimerais quà lintérieur de lEurope nous donnions davantage dimportance à la diversité des régions, et pas forcément celles définies par les pays. Après avoir vécu une bonne partie de ma vie en Aquitaine et plus particulièrement en Périgord, et ayant vu que pour la majorité des expatriés il est plus facile de sidentifier à une échelle locale, je pense que pour mieux intégrer les peuples en mouvement, rien ne vaut une identité régionale forte. Une identité qui semble plus facile à adopter tout en gardant quelques traits de sa nationalité, quelles que soient ses origines. Deuxièmement jaimerais voir adopter une certaine obligation dinscription et de vote, à la fois pour les élections locales et les élections européennes. Un droit qui suivrait le citoyen lors de ses migrations, sous certaines conditions de durée de séjour, avec en contrepartie un devoir de sintéresser à la vie de sa ville daccueil.