
23e année N°141 MAI - JUIN 2016
France :
démocratie locale
Les conseils citoyens à pas lent
La loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine de février 2014 dite loi Lamy prévoit la création de conseils citoyens dans les 1500 quartiers prioritaires de la politique de la ville. Elle fait suite au rapport Pour une réforme radicale de la politique de la ville de Marie-Hélène Bacqué et de Mohamed Mechmache qui insistait sur le préalable indispensable du droit de vote des étrangers (voir La Lettre n° 125).
Faute de ce préalable, la loi Lamy met en place des conseils, où les élus ne siègent pas, composés pour partie d’habitants des quartiers tirés au sort et pour partie des acteurs locaux associatifs et socioprofessionnels. Pour ne pas se limiter aux listes électorales et donner la parole à ceux qui ne sont pas inscrits sur ces listes et aux étrangers en particulier, des habitants doivent être tirés au sort à partir de fichiers d’organismes d’HLM, voire d’EDF ou de l’INSEE.
La mise en place de ces conseils est lente. Plus de deux ans après la loi, moins de la moitié des conseils est en fonctionnement ou en cours de constitution. François Lamy n’est plus ministre et un projet de loi égalité et citoyenneté qui sera débattu à l’automne ne semble plus faire des quartiers populaires une priorité
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Le tirage au sort sur les listes électorales, un levier pour le développement d’une nouvelle démocratie
A l’instar de l’expérience amiénoise de 2008 à 2014, le tirage au sort peut être un outil qui permet d’avancer dans la construction d’une démocratie plus participative. La participation des habitants se réduit trop souvent à la consultation de citoyens déjà engagés dans la vie publique (militants associatifs, politiques, syndicalistes...), beaucoup d’hommes blancs de plus de 60 ans qui ne sont ni représentatifs, ni représentants du reste de la population. Par ailleurs le fonctionnement des institutions de la Ve République (du conseil municipal au département) ne permet pas ou peu d’aboutir à des codécisions entre les élus et les citoyens.
Le tirage au sort sur les listes électorales peut être un instrument pour dépasser l’atrophie de notre démocratie. Il engage à aller vers les citoyens pour les mobiliser dans l’élaboration des politiques publiques. Il peut permettre de réenchanter la fonction de citoyen.
La liste électorale a l’avantage de rassembler les Français en tant que citoyens électeurs de tous les âges, femmes, hommes, de toutes origines à l’exception des résidents étrangers hors Union européenne qui n’ont toujours pas le droit de vote aux élections locales. Il nous faudrait alors pouvoir utiliser les listes de cartes de séjour que détiennent les préfectures, ce qui a été refusé à Amiens en 2013. Il nous reste pour le moment à nous appuyer sur le tissu associatif pour impliquer des résidents étrangers dans des processus de participation citoyenne. Il y a aussi un nombre trop important de nationaux non inscrits sur les listes électorales et il faut trouver les moyens de les inclure dans cette démarche.
Le tirage au sort doit être issu d’une réelle motivation des élus d’associer les citoyens et doit être accompagné d’actions visant à encourager les habitants à accepter l’invitation à participer. La mise en place de porte à porte systématique par exemple peut permettre de convaincre les citoyens de répondre favorablement, de les motiver à participer à la vie publique sur un temps défini. Un autre point important pour faciliter l’engagement de chacun est de lever les freins à la participation telles que les questions de garde d’enfant, celles des déplacements... Les groupes participatifs ainsi constitués vont pouvoir construire ensemble les propositions pour l’avenir. Cela passe par des temps de formation, de recherche, de travaux et de réflexions collectives, qui dépassent les a priori politiques et idéologiques de chacun dans une volonté de faire émerger des propositions singulières.
Toutefois la participation des citoyens à l’élaboration des politiques publiques reste aujourd’hui soumise à la délibération des élus, ce qui peut déposséder les citoyens d’une partie de leurs initiatives et parfois faire émerger des décisions contraires.
Nous avons encore un long chemin pour permettre aux citoyens et particulièrement aux résidents étrangers d’être de véritables acteurs des politiques publiques de leur cité.
Etienne Desjonquères, ancien premier adjoint au maire d’Amiens
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