23e année  N°139 JANVIER - FEVRIER 2016


Le plaidoyer de Manuel Valls contre le droit de vote des étrangers

Le 13 novembre, le Premier ministre publiait sur le site gouvernemental

(www.gouvernement.fr/naturalisation-citoyenneté-ce-qui-doit-rassembler-les-français-3252) et Facebook un texte sur le droit de vote des étrangers dont il dit avoir lui-même « porté et défendu, en 2010, une proposition de loi ».

En voici quelques extraits.

« Il faut bien le dire : quarante ans de mobilisation se sont soldés par une impasse.

Que faire ? Je vois deux possibilités. La première, c’est celle de ne rien changer, de s’entêter face à l’exigence constitutionnelle qu’il faut surmonter, car pour faire aboutir cette mesure, il faut la faire adopter soit par une  majorité qualifiée des trois cinquièmes du Congrès, soit par référendum. Dans les deux cas, ce serait la même impasse. Ce serait donc continuer à alimenter des espoirs qui ont, nous le savons tous, de très fortes chances d’être à nouveau déçus. Si le candidat de la gauche présente à nouveau cette mesure en 2017, il s’exposera au risque de porter un engagement qui n’aura aucune chance d’être tenu. Ce serait également mener un combat loin, il faut bien le reconnaître, des préoccupations immédiates et concrètes des Français et des étrangers qui vivent en France : éducation, emploi, logement, sécurité, ou encore égalité de traitement.

La deuxième possibilité – et selon moi, elle s’impose à la gauche  aujourd’hui – c’est de prendre le recul nécessaire pour comprendre les causes profondes de cette impasse. Elles tiennent à notre histoire et à la construction progressive de la figure du citoyen. [...]

Ce n’est que depuis la Troisième République que notre conception de la citoyenneté a pris une forme singulière : la citoyenneté a coïncidé avec la nationalité.

Elle est devenue l’expression politique de l’appartenance à notre Etat-nation... La Constitution le dit clairement : sont électeurs les nationaux. [...]

Posons-nous la question : doit-on buter éternellement sur cette promesse non tenue, ou bien accepter d’avancer, de faire mieux, en revenant au fondement du modèle républicain ? Je crois que nous devons nous mobiliser pour les bons combats – ceux qui ne décevront pas et qui auront des effets concrets dans la vie de nos nouveaux concitoyens. C’est la gauche qui a toujours porté le modèle républicain, ce modèle qui ne demande à personne de renoncer à ses racines ou à ses origines – ça, c’est le projet que propose une partie de la droite aujourd’hui. Le modèle que nous défendons est celui qui attend des futurs citoyens qu’ils adhèrent, qu’ils assimilent et qu’ils partagent les valeurs de la République qui leur sont transmises par les institutions :  la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité. C’est d’ailleurs en cela que notre modèle est profondément assimilationniste.

N’ayons pas peur du mot ! Il ne signifie pas l’exclusion, bien au contraire ! La gauche rejette toute conception « identitaire » ou « ethnique » de la nationalité. Ça, c’est le projet inique de l’extrême droite. Nous devons défendre notre conception ouverte et exigeante de la naturalisation et continuer à accueillir de nouveaux Français plutôt que de créer des « citoyens de seconde zone » n’ayant un droit de vote que pour les élections locales. [...]

Défendre notre modèle d’accès à la nationalité implique de savoir ce qui doit être conservé et défendu – par exemple, le délai minimal de cinq ans de résidence, un bon niveau de maîtrise de la langue – et ce qui peut évoluer dans l’ensemble du processus de naturalisation. [...]

Donner envie d’être français, c’est reconnaître l’engagement de ceux qui vivent, travaillent, créent de la richesse, se mobilisent dans la vie de la cité, à travers les associations notamment, et contribuent chaque jour à faire la France. C’est garantir la dignité de toutes celles et tous ceux qui vivent dans notre pays. C’est aussi cela, la politique de citoyenneté que nous menons.

Défendre notre conception ouverte, exigeante et progressiste de la naturalisation et de la citoyenneté : voilà ce qui, face à l’extrême droite, face à une vision étriquée et dangereuse de la nationalité, doit rassembler

les Français aujourd’hui. »

Passé relativement inaperçu parce que publié le jour des attentats de Paris, le texte de M. Valls est bien inquiétant. Il reprend les arguments classiques des opposants au droit de vote des étrangers.

 

1. L’exigence constitutionnelle est-elle insurmontable ou a-t-on vraiment cherché à obtenir un consensus sur un sujet qui, dans plusieurs pays, n’a pas fait l’objet de clivages politiciens ?

2. Si le droit de vote des étrangers n’est pas une préoccupation immédiate des Français et des étrangers, il s’agit bien d’une revendication pour une égalité de traitement et les sondages montrent depuis longtemps que cette revendication est majoritairement partagée.

3. La nationalité et la citoyenneté sont historiquement liées en France, sont-elles indissociables ? Le Premier ministre signale que les citoyens européens peuvent voter aux élections locales depuis le traité de Maastricht, mais oublie de constater que, pour ces Européens, le lien entre nationalité et citoyenneté n’existe plus.

4. En prônant l’accès à la nationalité comme seule voie d’accès à la citoyenneté, M. Valls promeut, quoi qu’il en dise, un modèle fermé de société. A sa décharge, il est effectivement revenu sur la politique restrictive en la matière des gouvernements de droite, mais est-ce suffisant ?

5. Parler de « citoyens de seconde zone » lorsqu’on revendique le droit de vote pour les seules élections locales est un des arguments avancés par ceux qui sont contre tout droit de vote accordé aux étrangers.

Certaines des organisations membres du collectif, qui combattent sur le sujet depuis plusieurs années, sont pour le droit de vote des étrangers à toutes les élections mais un consensus existe pour privilégier le niveau local, endroit où peut s’exercer le plus concrètement la citoyenneté et où le préalable de la nationalité ne se pose plus puisque ce droit a déjà été accordé à des non-nationaux, les Européens, ce qui aboutit de fait à une discrimination entre étrangers.

6. Enfin et surtout, il s’agit avant tout d’une question de démocratie qui suppose la responsabilisation et la participation du plus grand nombre aux affaires de la cité. Pour être réaliste, faut-il ne pas permettre à tous les résidents d’être parties prenantes des décisions qui les concernent, ce qui, au niveau local, n’a pas d’incidence sur la politique nationale du pays.

                             

La Lettre de la citoyenneté


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