22e année  N°136 JUILLET AOUT 2015


Luxembourg : les étrangers ne voteront pas aux législatives

Le 7 juin, les Luxembourgeois ont répondu négativement aux trois propositions de réforme soumises à un référendum par le Premier ministre Xavier Bettel.

La question : « Êtes-vous d’accord pour accorder le droit de vote actif à tous les citoyens résidents au Grand-Duché depuis au moins dix ans ? » a recueilli 78 % de non.

 

Les particularités luxembourgeoises

Le Luxembourg est le pays d’Europe où la population étrangère est proportionnellement la plus importante et augmente régulièrement depuis les années 60 : 13 % d’étrangers en 1960, 35 % en 2000, 46 % en 2014. Il s’agit pour l’essentiel de ressortissants d’autres pays de l’Union européenne : il y a dans le Grand-Duché, sur les 560 000 habitants, 16,4 % de Portugais, 7 % de Français, 3 % d’Italiens... mais il y a aussi 7 % de non-Européens, Cap-Verdiens, Américains du Nord, Chinois...

Dans un objectif affiché d’intégrer ces étrangers, le gouvernement a fait voter en octobre 2008 une loi favorisant l’accès à la nationalité du pays (voir La Lettre n° 101). On est passé d’environ 1 000 acquisitions de nationalité par an à plus de 4 000 à partir de 2009, 4 992 en 2014, et le Luxembourg est depuis 2009 l’Etat européen ayant le plus de naturalisations par rapport à sa population générale (voir La Lettre n° 133).

 

Une ouverture progressive au vote des étrangers

Après le traité de Maastricht, les directives de 1993 pour les élections européennes et de 1994 pour les élections communales prévoient des dérogations pour les Etats où la proportion de citoyens de l’Union non nationaux dépassent 20 % de l’ensemble des citoyens en âge de voter. Ces dérogations ne concernent en réalité que le Luxembourg. Pour les élections communales, il faut avoir résidé six années au cours des sept dernières années pour voter, douze ans au cours des quinze dernières années pour être candidat. Pour les élections européennes, il faut cinq ans de résidence au cours des six dernières années pour voter, dix ans au cours des douze dernières années pour être candidat.

Une nouvelle loi électorale entrée en vigueur début 2003 permet à tous les ressortissants non luxembourgeois, issus de pays membres de l’UE ou non, et résidant sur le territoire depuis au moins cinq ans de voter aux élections communales. Seuls les ressortissants communautaires peuvent être candidats sans possibilité d’être bourgmestre (maire) ou échevin (adjoint). 17 % des étrangers se sont inscrits pour voter aux communales de 2011.

Fin 2011, la loi électorale est à nouveau modifiée : dorénavant les étrangers non communautaires peuvent être conseillers municipaux après cinq ans de résidence et tous les élus de nationalité étrangère peuvent accéder aux postes de bourgmestre et échevin.

En 2013, c’est la condition de durée de résidence lors de l’inscription des ressortissants de l’UE sur les listes électorales pour les européennes qui est abolie, les règles de résidence deviennent les mêmes que dans les autres Etats de l’UE.

 

Trois questions posées aux Luxembourgeois

Dans la logique de cette extension progressive du droit de vote des étrangers, des associations et des partis politiques demandaient que les étrangers puissent voter aux législatives. Le Premier ministre et les trois partis de la coalition gouvernementale (Libéraux, Socialistes, Verts) ont décidé de consulter les Luxembourgeois par référendum sur une éventuelle modernisation de la vie politique (extension du droit de vote des étrangers ; abaissement à 16 ans de l’âge pour voter ; limitation des mandats à dix ans).

Des trois questions, c’est celle du droit de vote des étrangers qui a suscité le plus de controverses. Les partis politiques et les syndicats se sont rapidement positionnés (voir La Lettre n° 134). Des acteurs culturels, les jeunes des partis de la coalition gouvernementale, mais aussi ceux du parti social chrétien (CSV) dans l’opposition, se sont mobilisés en faveur de l’extension du vote des étrangers, estimant même que la durée de résidence exigée était trop restrictive. Lors de son assemblée générale extraordinaire de janvier, le Comité de liaison des associations d’étrangers (CLAE), qui avait exprimé des réserves sur l’idée d’un référendum sur la question, s’est positionné également pour le oui, « convaincu que le droit de vote accordé aux résidents de nationalité étrangère, en élargissant l’espace public, impulsant une nouvelle dynamique au débat démocratique, aurait les mêmes effets bénéfiques que l’extension progressive du droit de vote au XIXe siècle puis l’introduction du suffrage universel en 1919 [date où les femmes ont obtenu le droit de vote au Grand-Duché] ».

Parmi les arguments développés par les opposants, l’inégalité que créerait un vote obligatoire pour les Luxembourgeois et non obligatoire pour les non-Luxembourgeois a été soulevée mais c’est déjà le cas actuellement pour les municipales et les européennes.

C’est surtout le risque de perdre son indépendance ou que le luxembourgeois disparaisse comme seule langue parlée à la Chambre des députés qui ont été évoqués.

Le droit de vote municipal des étrangers n’a pas été remis en cause. Le Parti communiste s’est également positionné pour le non, estimant que les conditions posées (dix ans de résidence et avoir déjà voté auparavant au Luxembourg) réduiraient le nombre de nouveaux électeurs à un maximum de 35 000.

 

La surprise des résultats

Les sondages laissaient prévoir des résultats serrés sur les trois questions. Le gouvernement et les médias ont été surpris par l’ampleur des trois votes négatifs. Le Quotidien parle de « claque ». Les journaux français, Libération en tête (« Les Luxembourgeois refusent massivement le droit de vote aux étrangers »), oublient pour la plupart que les étrangers ont déjà le droit de voter aux municipales. Luxemburger Wort publie des réactions d’étrangers : « On n’est rien » ; « J’ai honte »... Le Premier ministre conclut : « Nous avons compris le message, nous apprendrons de nos erreurs. » Une enquête réalisée le jour du scrutin sur le vote en fonction de la position partisane montre que si les sympathisants des partis gouvernementaux et de gauche ont voté oui, de 61 % pour Déi Gréng à 47 % pour DéiLénk, les socio-chrétiens du CSV ne l’ont fait qu’à 13 %, les conservateurs de l’ADR ayant voté presqu’à 100 % non. Le même sondage dit que 47 % des électeurs luxembourgeois pensent qu’il ne s’agit que d’une question de temps jusqu’à ce que les étrangers obtiennent le droit de participer aux législatives ; les étrangers sont 66 % à penser la même chose ; 55 % des électeurs pensent que la double nationalité serait préférable au droit de vote aux législatives ; les trois quarts des électeurs sont pour accorder la nationalité automatique à 18 ans aux enfants étrangers nés au Luxembourg (voir « Ils ont dit »).


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