Lévolution
de lopinion française sur le droit de vote des étrangers
Jean-Daniel Lévy Directeur du
département politique et opinion dHarris Interactive
France
Cela
fait 24 ans que la lettre de la citoyenneté demande aux
Français, à un échantillon représentatif de Français, sils
sont favorables au droit de vote des étrangers pour les
élections municipales et européennes. Les 32% accueillant
favorablement cette proposition en 1994 sont devenus 58% en 2018.
Sans que lon puisse constater une linéarité totale. Mais
dans un environnement où lon peut voir une nette
progression au cours des dernières années : 47% en 2014,
50% lannée daprès, 54% en 2016 puis deux points de
plus chaque année suivante.
Quatre
constats simposent lorsque lon regarde lévolution
des opinions depuis le début de ces enquêtes :
1.Il
nexiste pas de lien entre pouvoir politique en place et
attitude à légard du droit de vote des étrangers :
la gauche arrive au pouvoir depuis 1997 et ce nest que 2
ans plus tard que, pour la première fois, une majorité de
Français se déclare favorable au droit de vote des étrangers.
Larrivée de François Hollande à lElysée ne se
traduit pas par une hausse mécanique de lapprobation, pas
plus que celle dEmmanuel Macron ne gérerait de
modification profonde des structurants dopinion.
2.Les
Français peuvent approuver lhypothèse mais se tendre
lorsque le débat prend une consonance concrète. Ainsi à peine
cette hypothèse est-elle portée dans le débat public en 2000 (Proposition
de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité
aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union
européenne résidant en France) que lon assiste à une
sévère évolution : -6 points dappréciation, suivit
de la même évolution lannée suivante.
3.Que
des événements dramatiques ou de forte tension mettant en
scène des étrangers, des immigrés, des musulmans
(avec
des mélanges et des confusions se créant dans les
représentations) peuvent se produire sans que lon mesure
un impact direct sur la seule thématique du droit de vote.
Attentats de 2001 (World Trade Centre), certes baisse de lappréciation
de la mesure (-6) mais progrès de 14 points lannée
suivante. Tensions dans les banlieues en France en 2005 et lannée
daprès progrès de 5 points concernant le droit de vote.
De même depuis 2015 en France et les attentats de janvier.
4.
La tendance globale reste, depuis 2006, quune majorité de
Français se déclare favorable à lextension du droit de
vote aux étrangers. Et que si laccueil est le fait de
populations bien identifiées (jeunes, catégories supérieures,
personnes à gauche sur léchiquier politique
) les « tensions
dopinion » sont moins marquées que par le passé.
Reste,
toujours, laspect central : une opinion mesurée à
froid ne se traduit pas mécaniquement en dynamique lorsque le
débat est fortement porté dans le débat public. Et quil
existe encore aujourdhui des structurations fortes. Un
soutien croissant mais pas (encore ?) militant alors que les
opposants sont ferment hostiles à ce quils considèrent
comme une remise en cause de la citoyenneté. En 24 ans les
Français sont passés dune opposition à un accueil
favorable. Reste à voir sils vont évoluer vers un soutien
structurant de leurs regards à légard des décisions
politiques prioritaires à prendre.
Et
là est le cur de lenjeux. Être favorable constitue
un préalable. Un indépassable avant de se mobiliser. Reste quaujourdhui
peu de Français sont « militants » de louverture
du droit de vote aux étrangers. Les manifestations ne drainent
pas beaucoup de nos concitoyens. Les votations recueillent des
réponses positives mais dans cadre mobilisationnel restreint. En
dehors des comportements, les priorités des Français ne se
focalisent pas autour de ce thème. On le voit dans toutes les
enquêtes où lon « force » les Français à
prioriser leurs assignations à légard des acteurs et
notamment des acteurs politiques, le droit de vote des étrangers
se retrouve en dernière ou avant dernière position.
Comment
expliquer cette tension ? Probablement de deux manières.
1.Les
Français répondent à une question quon leur pose :
le droit de vote des étrangers, sans que cette thématique
apparaisse centrale à leurs yeux. Ce débat nest pas
nettement présent dans lespace public, les acteurs
politiques ne sen sont pas vraiment emparés, et la bataille
culturelle nest pas dans lespace public. Aussi
nous sommes face à des Français qui, dans un même élan,
peuvent être daccord avec une position et ne pas la
considérer comme prioritaire ;
2.Les
Français ne savent pas quune majorité dentre eux
est favorable au droit de vote des étrangers. Et tout se passe
comme si, dans cette ambiance perçue comme hostile, les
Français ne souhaitent pas voir cette thématique mise au-devant
de la scène politique. Non pas parce quils y seraient
opposés mais parce quils pourraient penser que les
Français ny seraient pas prêts.