LA LETTRE DE LA CITOYENNETE
NATIONALITE, DROIT DE VOTE DES RESIDENTS
ETRANGERS
Le 12 mars la Commission de l'intérieur du Sénat s'est prononcée contre un projet de loi accordant le droit de vote aux élections locales aux résidents étrangers. Le 28 mars, le Sénat en séance plénière a confirmé le rejet par 36 voix contre 33. Le sujet est à l'ordre du jour depuis longtemps en Belgique et il va continuer à mobiliser associations, partis et médias.
Déjà
il y a trente ans
Après un projet en 1971 qui ne concernait que les Européens, c'est en avril 1972 que fut déposée au Parlement belge la première proposition de loi visant à étendre le droit de vote à tous les résidents étrangers. Son auteur était le député communiste Marcel Levaux.
Plusieurs années plus tard, "Objectif 82" reprenait le flambeau en espérant à tort que la question serait résolue avant les élections communales de 1982. Ce fut ensuite un long silence jusque dans les années 90 et à nouveau un grand espoir après les élections de 1999 où la quasi-totalité des leaders des partis politiques démocratiques avait pris position en faveur du droit de vote.
La coalition "arc en ciel" qui gouverne la Belgique depuis ces élections, comprend les six partis flamands et francophones écologistes (Agalev et Ecolo), libéraux (VLD et PRL-FDF) et socialistes (SP.A et PS). Les chrétiens-démocrates qui ont participé à tous les gouvernements depuis la dernière guerre sont les grands absents de cette coalition. L'accord de gouvernement ne parlait pas du droit de vote des étrangers et le sujet ne pouvait pas être abordé avant les élections communales d'octobre 2000 (article 8 de la constitution). La loi du 1er mars 2000 appelée "snel - belg - wet", loi pour "devenir belge rapidement" a par contre largement facilité l’accès à la nationalité belge (Voir La Lettre n° 45).
Entre 2000 et 2006
mais quand ?
Au lendemain des élections de 2000, le débat sur le droit de vote est reparti de plus belle. Pour le sénateur socialiste Philippe Moureaux "on a mis une sourdine à nos revendications jusqu'à cette date mais, maintenant, il est temps de reprendre les discussions."
Il y a a priori une majorité favorable au droit de vote dans le Parlement actuel mais faut-il décider maintenant, à distance des prochaines échéances communales, comme le pense le président du Parti socialiste flamand, Patrick Janssens, ou "rouvrir la discussion en 2003 ou 2004" comme le suggère le président du VLD Karel de Gucht ?
Les réticences flamandes
De fait les réticences se situent du côté des partis flamands. Théo Hachez, le directeur de la Revue Nouvelle explique "l'intégration des étrangers en Flandre est toujours assortie d'une crainte non avouée : se peut-il que s'incrustent sur son territoire des individus qui négligent ou méprisent la culture et la langue flamande ?". C'est une conséquence de la genèse de la démocratie en Flandre dont l'objectif était l'homogénéité linguistique du territoire pour lutter contre un adversaire culturel francophone dominant. Alors qu'en Wallonie, les étrangers ont vite trouvé leur place comme travailleurs dans le mouvement ouvrier, en Flandre, les mêmes étrangers ont été vus comme une menace pour une autonomie culturelle chèrement acquise.
En Flandre même si, en pratique, l’élargissement du droit de vote aux non-européens est symbolique eu égard au faible nombre de personnes concernées, la classe politique flamande démocratique se trouve aujourd'hui autant réticente sur le droit qu'elle l'a été il y a quelques années sur l'application du traité de Maastricht. Les deux grands partis, chrétiens-démocrates, CD & V, et libéral, VLD, craignent la montée de l'extrême droite représentée par le Vlaams Blok, 15 % des voix aux dernières élections, et aimeraient qu'en échange du droit de vote, on restreigne l'accès à la nationalité belge. Le débat a lieu aussi au sein des socialistes flamands du SP.A mais leur président P. Janssens se dit "persuadé que les politiques doivent oser prendre leurs responsabilités sur certains thèmes en fonction de leur vision et de leur idéologie. Le droit de vote est un de ces thèmes là… les militants du SP.A ne sont pas forcément pour… mais un socialiste doit y être favorable" (1). Seuls Agalev et Spirit, parti libéral-national-progressiste, issu de l'explosion de la Volksunie, se démarquent et sont sans réserve pour le droit de vote des étrangers.
La Commission de l'intérieur
du Sénat
Trois propositions de lois ont été déposées par le PS, le SP.A et Ecolo-Agalev et c'est cette dernière qui a été étudiée par la Commission de l'intérieur du Sénat. Les auditions se sont déroulées pendant trois mois sous la présidence d'Anne-Marie Lizin, sénatrice PS. Les débats furent sereins jusqu'à ce que le président du VLD, Karel de Gucht fasse connaître son veto : pas de vote même aux élections municipales sans nationalité belge.
Ce diktat d'un seul risquait de mettre en cause la majorité gouvernementale, d'autant qu'il existe au Parlement une majorité de rechange sur le sujet, notamment parce tous les partis francophones, y compris les chrétiens-démocrates sont favorables au droit de vote. Le président des libéraux francophones, Louis Michel, vice-Premier ministre, est venu au secours de ses collègues flamands en affirmant "le fair-play à l'égard d'un partenaire oblige à lui donner du temps pour convaincre et se convaincre lui-même de la justesse de cette mesure… Je suis certain que ce sera fait pour 2006" (2).
Il a demandé aux sénateurs de son parti de voter contre le projet. Les sénateurs libéraux francophones ont suivi les consignes et le vote du 12 mars a été sans surprise : neuf voix contre six pour rejeter la propositon de loi Nagy-Lozic. Le PRL, le VLD, le Vlaams Blok et le CD & V ont vote contre. Les socialistes, les écologistes et les PSC (sociaux-chrétiens francophones) ont voté pour.
La Commission a rapporté sa décision à l'ensemble des sénateurs le 28 mars. Sur 69 sénateurs, 36 ont rejeté la proposition écologiste (libéraux flamands et francophones, CD&V, Mouvement réformateur, Vlaams Blok) et 33 l’ont soutenue (écologistes, socialistes, PSC, Spirit).
La société civile intervient
Les associations et les personnalités civiles n'ont pas laissé les politiques débattre seuls et ont fait connaître leur opinion. A titre d'exemple, citons la déclaration du vicaire épiscopal du diocèse de Liège, Baudouin Charpentier, "donner le droit de vote aux élections communales aux étrangers non-européens est un geste positif à l'adresse des étrangers et faire preuve de courage et de conviction… J'espère que la stratégie politique ne l'emportera pas sur une question ayant trait aux droits de l'homme et à l'intégration des étrangers dans notre pays" (3).
Un encart d'une page entouré de milliers de signatures avec le message "nous trouvons que cela va de soi que tous les habitants d'un pays puissent voter" est paru début mars dans De Morgen et De Standaard. Une manifestation nationale pour l'égalité des droits a réuni plus de 10 000 personnes, en majorité flamandes, le 10 mars dans le centre de Bruxelles. La mobilisation associative existe, les leaders des partis écologistes et socialistes ont affirmé leur détermination à continuer à se battre sur ce dossier. Tout espoir n'est pas perdu.
Bernard Delemotte
Pierre-Yves Lambert
Voir aussi dans le meme numero
: Belgique : DE L'URNE AU PLACARD
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